En Avril dernier, se tenait la 6ème édition du Salon des Blogueurs de Voyage à Lille. Je suis une fidèle du Wat. 6 éditions, 6 participations. Depuis ma 1ère participation timide , de Cannes en 2014 à Lille en 2019, quelle folle aventure !
Pour revenir au point de départ, je me suis intéressée à ce salon dès sa 1ère édition, parce que d’une part, je suis une curieuse et passionnée par le tourisme et d’autres part, en totale néophyte, j’avais le sentiment qu’il y avait une piste à étudier avec ces « Blogueries » dans l’idée de donner peu de lumière à mon Val d’Hérens. Par ailleurs, depuis 8 ans, je tiens un blog pour ma maison d’hôtes, un blog qui me permet d’exister et d’assurer ma visibilité et notoriété en dehors des circuits de distributions classiques (Mais ça, c’est un autre débat !) C’est par ce même petit blog sans prétention que je suis devenue malgré moi ambassadrice de mon territoire et que je l’ai représenté lors de ma 1ère participation au WAT. Depuis, 5 éditions se sont écoulées, j’ai pu partager ma vallée de cœur et d’adoption avec de nombreux bloggeurs. Je pourrais vous parler de tous les effets bénéfiques engendrés par la relation que j’ai pu tisser avec de nombreux bloggeurs, de comment ma vallée a pu se démarquer sans moyens dans les relations bloggeurs. (C’était d’ailleurs le sujet de mon partage d’expérience l’an passé au Wat de Millau)
Aujourd’hui, c’est en fait un aspect différent que j’ai envie de partager. Résumons, je suis un peu bloggeuse, je suis une prestataire touristique qui prône les valeurs d’un tourisme durable, je suis devenue ambassadrice de ma vallée et je suis aussi une habitante avec une démarche eco-citoyenne et… je me retrouve face à un dilemme ou plutôt je suis en pleine dualité.
Le marketing d’influence peut-il se marier avec le tourisme durable ?
Je vais vous raconter une histoire. Je suis de profession hôtelière, mon cœur de métier c’est l’hospitalité, j’aime partager et c’est donc naturellement que je partage mes bons plans avec mes hôtes. Croyant n’avoir aucune influence, je ne me suis pas posé la question de l’impact de mes articles, de mes sujets. A tort !
En 2014, je raconte mes soirées insolites à l’écoute du Brame du Cerf. Un billet qui n’avait pas d’autre but que de partager ces petits moments de locaux avec mes hôtes. J’avais l’habitude de monter écouter le brame du cerf, retrouver à cette occasion les anciens du coin. FINI !
Mon article a connu une viralité que je n’aurai jamais soupçonnée et de fait a créée une demande qui n’existait pas auparavant. La demande des visiteurs est arrivée, les pros du tourisme se sont dit : « y’a une demande, faut qu’on crée un truc » On crée le produit sans grande réflexion préalable, on rajoute le mot expérience et en avant « expérience brame du cerf». On distribue et c’est parti.
Pas de kit de compréhension, pas de sensibilisation et de surcroit on crée une attente. Plus de place à la surprise. A présent, chaque week-end de Septembre, ce sont des centaines de personnes qui montent «VOIR» le brame du cerf. Et dans ce mot « VOIR », on comprend déjà que eux n’ont pas compris. Ce sont des voitures qui circulent sur un alpage privé, ce sont des gens qui vont partout, en dehors des sentiers, fragilisant l’équilibre de cette faune sauvage. Ce sont des comportements inadaptés. Aurai-je du anticiper le succès et la viralité de mon billet ? Sans nul doute. Résultat, on met de la densité sur des lieux qui ne peuvent pas l’absorber et on fragilise l’environnement. Arghhh, manque d’anticipation ! Quel mépris. A l’heure où la tendance est à la micro-aventure, on a banalisé ce moment privilégié en « attraction touristique » alors qu’on aurait pu créer un vrai moment de rencontres et d’échanges entre visiteurs et locaux et sensibiliser à la faune sauvage en montagne. Bon, rassurez-vous, une marche arrière a été opérée et l’avenir nous dira si on a réussi à renverser la vapeur et transmettre l’essentiel.
Autre exemple, le lac bleu, l’image instagrammable par excellence, Un joyau alpestre accessible en 40 mn de marche. Tout le monde connait son existence sans même n’y être jamais aller. Il a atteint une telle côte de popularité dans la presse et les médias qu’il attire un public de plus en plus large et même la presse internationale s’en fait l’écho.
Est-ce qu’on doit se réjouir de cette popularité ? Faut il continuer à en parler sur les réseaux sociaux, continuer à le montrer ? Ou doit-on trouver de toute urgence une alternative.
Aujourd’hui, sa sur-fréquentation pose des problèmes de sécurité en terme de parking. Impossible de se garer en plein été. Draine un public tout horizon qui ne rechigne pas à monter en tongues. Ca pose des problèmes au niveau de la gestion des déchets, des latrines à ciel ouvert. On est à 2200 m d’altitude ! Lors de mon dernier passage en octobre, j’ai constaté que le sentier avait doublé de largeur et j’ai noté plus de 15 points de latrines.
Est-ce que l’influence serait entrain de détruire nos joyaux alpestres ?
Je remets dans le contexte. Je parle bien d’une petite vallée préservée et méconnue des alpes Suisses. Une vallée de 7000 habitants où les traditions sont bien vivantes, on parle le patois, on porte le costume traditionnel, on a su traversé les âges en préservant le caractère authentique de nos villages alpins… Mais pour combien de temps encore, si on ne change pas notre approche du marketing ?
Je vous parle de micro exemples à l’image du brame du cerf, d’un lieu qu’est le lac bleu. Ce n e sont que quelques exemples mais à l’échelle de ma vallée, c’est déjà un signe pour moi. A trop vouloir montrer le caractère authentique de notre territoire, n’est-on pas entrain de détruire notre art de vivre et nos principales ressources La NATURE et les habitants ? Et puis, il y a aussi les traditions, ces moments d’habitants, ce patrimoine immatériel. A force d’en parler, de partager ce qui nous touche, n’y a-t-il pas le risque de folkloriser nos traditions ? Pourrait-on dire que pour préserver notre ADN, il serait mieux de vivre cacher ?!
Ce paradoxe de l’influence en terme de tourisme durable, on le connait déjà. On parle de destinations saturées, d’over-tourisme, de touristophobie, de destruction de notre patrimoine naturel. On a tous en tête le nom des villes et destinations victimes de leur beauté et dont les mécanismes de l’influence et l’affluence font des ravages. L’ENFER DU DECOR !
C’est l’affluence des hôtes qui détruit l’hospitalité – Jean-Jacques Rousseau
Par contre, on pense que ça ne peut pas arriver chez nous, en milieu rural, sur de petits territoires. Et pourtant, tout va vite beaucoup trop vite ! Parlons de :
- l’auberge Aecher dont les propriétaires ont jeté l’éponge. Leur a t’on posé la question si toute cette publicité leur était bénéfique ?
- le Val Versaza, vallée étroite qui voit défiler des colonnes de voitures sous le regard impuissant des autochtones
- la rue crémieu, les champs de fleurs, ect
A force d’attirer un public toujours plus nombreux et toujours plus diffus, on est entrain de détruire ce qui ne nous fait vivre. Des lieux totalement méconnus du grand public sont sortis de l’ombre du jour au lendemain et sont devenus surexposés entrainant des effets pervers. C’est tout un équilibre économique et sociologique qui est menacé. Ces exemples m’interpellent et m’interrogent.
Je suis en proie à une certaine dualité. J’ai envie d’accueillir, de partager mais comment trouver le bon équilibre. Peut-on vraiment mesurer l’impact de nos actions ? Celles des autres ? Pas facile de trouver le juste équilibre dans un système où la performance prime. Doit on tout montrer, tout partager ou conserver une part de secret, de mystère avec nos visiteurs ?
Si demain, on ne maitrisait plus rien.
Si demain notre culture, notre patrimoine, nos traditions perdaient leur ADN à force d’être banalisé à coup de hashtag.
Si demain, nous étions sous l’emprise d’une économie touristique non maîtrisée.
Si demain, nous étions repoussés de nos propres territoires.
On ne pourra pas dire que ces dernières années nous ont livrés aucun signe, Que l’on soit professionnel du tourisme ou blogueurs touristes, n’oublions pas avant tout que nous sommes des citoyens, des habitants. On parle de plus en plus de crise de l’influence. Perso, j’ai envie qu’on repense l’influence.
Mettre le marketing d’influence au service d’un tourisme durable.
1- Si on repensait la performance touristique
Moins mais mieux. Qualité VS Quantité.
Il y a un vrai paradoxe. On nous parle de cette quête d’authenticité recherchée par nos visiteurs et on oublie le sens de ce que peut-être l’authenticité à l’instar de chiffres et stats. On mets du marketing tout le temps, partout. Je suis en overdose. Au passage, on en oublie peu à peu les valeurs essentielles comme la sincérité d’un accueil, on oublie que ce qui fait la richesse de nos métiers du tourisme. Ce sont les gens, la qualité d’une rencontre.
L’activité touristique de nos destinations pourrait être un catalyseur de valeurs. Tendre vers un tourisme de sens avec une mise en valeur des gens, des tronches du territoire. Créer une rencontre entre habitant et visiteur pour une parfaite cohabitation. Les « blogueurs voyages » savent tisser des liens, raconter des histoires, partager l’émotion d’une rencontre. Au lieu de leur concocter des blog trips avec un surconsommation de loisirs et de découvertes en tout genre pour qu’il puissent partager le max de choses avec leur communauté et engendrer le plus de likes, on pourrait leur laisser carte blanche afin qu’ils prennent le temps de ressentir les lieux, les gens, les habitants et qu’ils puissent parler de ces anonymes qui au final seront sans nul doute le plus beau souvenir de vacances.
2 – Si on favorisait davantage le tourisme local
Pourquoi toujours vouloir pénétrer les marchés étrangers alors que le visiteur local ne demande qu’à être courtisé. Il est le mal aimé et souffre d’une non reconnaissance en tant qu’acteur économique. Favorisons le tourisme local en partageant les petits moments d’habitants. Il y a 365 jours dans une année donc 365 occasions de découvrir et faire découvrir. Invitons « les blogueurs voyages » sur des périodes inexploitées et désacralisons le mythe du beau. Montrons ce qui est vrai.
Cassons les codes et sortons du cadre afin de reconnecter les habitants à leur territoire. Transformons les en ambassadeurs et partageurs de tous ces petits trucs de locaux qui font la richesse et la diversité d’un territoire. A force de toujours montrer le beau, on formate, on uniformise et on fabrique des idées préconçues dans la tête des gens. Mettons du sens et déclinons les territoires sur 365 jours en impliquant le local. Les influenceurs sont partout autour de nous, ces macro-ambassadeurs qui s’ignorent, fidèles et porteurs des valeurs.
Petit apparté : à titre pro en tant qu’hébergeur (maison d’hôtes) j’ai tout mis en œuvre pour favoriser le tourisme local (mes hôtes sont à 90 % une clientèle de proximité, ils viennent en moyenne de 2 heures de route, ils se programment de courtes escapades plusieurs fois dans l’année pour vivre au rythme des saisons comme un habitant ) Je ne parle plus des 4 saisons mais des 8 saisons en dévoilant ces petits moments de bonheurs simples qui créeront leurs souvenirs. une démarche d’accueil que j’ai plaisir à valoriser depuis 8 ans déjà.
3 – Si on se différenciait par la durabilité
Les « bloggeurs voyage », porte-parole de la durabilité en menant des actions ec-citoyenne. Pourquoi ne pas co-construire avec une charte pour un tourisme de sens ?
Influence, affluence, tourisme durable, des notions qui s’entrechoquent pour une thématique qui me tient particulièrement à cœur depuis quelques années déjà. J’avais envie de partager mes questionnements et réflexions à l’occasion du #Wat19, interpeller blogueurs et destinations, sur ce sujet sensible. Même si pour moi, ce n’est pas un exercice facile que de prendre la parole en public ( il y a encore 5 ans, c’était inenvisageable) j’ai été ravie de partager et échanger avec des personnes concernées par le tourisme de demain en espérant que nos réflexions respectives mèneront à des changements profonds. Merci Olivia, Emma, Lizzie et les autres pour vos témoignages. Pour continuer les échanges, rendez-vous sur le groupe Voyage Slow,
A lire :
La blogosphère se mobilise pour le tourisme slow
Retour sur le salon des blogueurs de voyage 2019 : les tendances du tourisme 2020
#WAT19 : Influence et tourisme durable peuvent-ils aller de pair ?
1 réflexion au sujet de “Influence & tourisme durable peuvent ils se marier ?”